Cheminer avec son chien, c'est accepter certaines parties de nous que nous n'aurions peut-être pas découvertes sans eux...
Notre Emmy a retrouvé sa liberté d’âme il y a tout juste 10 jours, à l’âge respectable de 15.5 ans. C'était le sujet de mon texte précédent.
Accompagner sa fin de vie n’a pas été un chemin facile. Peut-être d’abord parce que je n’ai pas vraiment pris la mesure de ce qui se passait, depuis son AVC à la mi-juin (mon article écrit à l'époque, ici). En fait, en une semaine, elle avait semblé quasiment complètement remise. Elle avait retrouvé sa mobilité (celle d’un chien de son âge bien sûr), ses petits défauts, ses petites manies… bref, elle était redevenue elle-même. Enfin, quasiment.
Aujourd’hui, avec le recul, je me dis que même si elle avait bien récupéré, cet épisode a sans doute été à l’origine des difficultés qui ont commencé à se manifester par la suite (je ne suis pas véto 😉). Si discrètement et progressivement que je n’ai pas réalisé tout de suite que nous avions entamé sa dernière ligne droite.
Ce que j’ai envie de partager avec vous aujourd’hui, c’est tout ce que cet accompagnement a éveillé chez moi…
En résumé, tant que j’ai eu le sentiment d’avoir le contrôle sur la situation, ça se passait relativement bien. Mais il a bien fallu lâcher prise... un peu à la fois, jusqu'au bout.
Quand nous détections une faiblesse quelque part, mais que nous trouvions comment y palier, que ce soit avec l’aide du vétérinaire ou par nous-mêmes, l’inquiétude restait relativement ponctuelle. Elle s’apaisait dès que notre idée de solution portait ses fruits et qu’Emmy allait de nouveau bien.
Par exemple, sans être incontinente, Emmy avait commencé à avoir du mal à se retenir la nuit. Comme ça ne m’emballait pas vraiment de démarrer ma journée par le nettoyage du living, j’avais commencé à me lever de plus en plus tôt. Jusqu’à 4h30. Alors, la plupart du temps, elle dormait encore, j’étais là quand elle se réveillait et je la laissais simplement sortir quand elle était prête. Je profitais par ailleurs de ce moment de calme particulier pour prendre du temps pour moi… Petite victoire.
Après quelques semaines ou quelques mois (je ne sais plus), il s’est avéré que même me lever à 4h30 n’empêchait pas le nettoyage… alors je me suis fait une raison, j’ai essayé de relativiser. J’avoue, il m’a pourtant fallu un petit temps pour ne pas nettoyer en râlant… Je n’en ai jamais voulu à Emmy, bien sûr ; c’est juste que je préférais commencer ma journée avec une tasse de thé dans le divan 😉. C’est quand j’ai pu nettoyer sans bougonner, que j’ai commencé à comprendre que j’allais devoir lâcher prise. Que je ne pourrais pas tout maîtriser. Et que ce nettoyage de la première heure n'était finalement qu’un moindre mal, puisque tout le reste allait bien.
Le temps a continué à passer. Ses soucis digestifs sont devenus de plus en plus évidents, et difficiles à gérer. Il fallait maintenant qu’elle mange le plus tôt possible après son réveil. Alors j’ai changé de stratégie. Au lieu de me lever avant le soleil, même si je continuais à me réveiller tôt, je restais au lit… pour me lever seulement de façon à être prête à lui donner son repas à son heure +/- habituelle de réveil, vers 6h30.
Encore une stratégie qui a fonctionné pendant un temps, et pas toujours. Parfois, elle se réveillait en ayant déjà mal au ventre.
Quelques-uns des maîtres-mots de cet accompagnement ont été : observation, écoute, intuition, flexibilité, imagination…
D’autres ont été aussi : anxiété, découragement, frustration, épuisement…
Un nombre innombrable de fois, j’ai repensé ses repas, modifié les compositions, mixé, chauffé, rendu plus liquide, elle est passée à 4 repas par jour pour de plus petites quantités, etc. Elle avait une horloge dans le ventre… Si je n’étais pas à l’heure, elle s’agitait jusqu’à devenir anxieuse ; alors j’ai adapté tous mes horaires et mes activités pour qu’elle puisse manger à heure fixe, histoire de lui éviter le plus possible d’inconfort. Pour moi, c’était devenu une source de stress journalière. Est-ce que ce que j’allais lui donner allait bien passer, ou pas ? Un repas qui passait bien un jour, posait problème le jour suivant. Je n’avais aucun repère. Pourtant, Dieu sait que j’en ai cherché, des repères… que j’ai essayé de trouver une logique, de comprendre ce qu’elle tolérait ou pas. Mais ça changeait en permanence. Je me suis sentie tellement perdue et impuissante…
Emmy, de son côté, a honoré chacun de ses repas avec enthousiasme. Elle a mangé avec plaisir jusqu’au bout, ou presque. Les 2 derniers jours, elle n’a pas fini toutes ses gamelles… je savais que c’était un signal important, parce qu’elle a été gourmande toute sa vie. Pour son dernier repas, elle a carrément refusé ce que j’avais préparé. Mais je voyais qu’elle tournait en rond… alors finalement, je lui ai préparé, séparément, un mélange de cabillaud et de bouillon d’os, qu’elle a mangé avec appétit, puis un œuf sur le plat, dont elle s’est régalée. Je ne lui avais jamais donné d’œuf sous cette forme 😉; ça m’a touchée de voir son plaisir à manger, pour la dernière fois.
Une des choses qui m’a été révélée à travers ce processus, a été ma vulnérabilité totale face aux soucis de quelqu’un que j’aimais. Difficile de garder la tête froide quand je voyais qu’Emmy rencontrait une difficulté quelconque, quand je ne comprenais pas son comportement, et que je ne savais pas quoi faire pour l’aider. En résumé : incompréhension et impuissance.
Si elle avait été en « grosse souffrance », nous aurions évidemment décidé de la libérer plus tôt. Mais autant cela ne semblait pas être le cas (pour autant qu’on puisse l’évaluer chez un chien…), autant je ne supportais pas qu’elle ne soit « pas bien ». En fait, j’ai commencé à ne pouvoir vraiment respirer et me détendre que quand elle dormait, paisible. Quand j’étais sûre qu’elle était bien. J’avais constamment un œil sur elle et je me mettais en branle au moindre signe d’inconfort… j’essayais de réfléchir à la meilleure façon de l’aider selon les symptômes. A force, nous avions pu identifier quand elle avait du reflux, quand elle avait mal au ventre, quand elle essayait de se faire vomir parce qu’elle avait bu trop d’eau… et nous avions toute une série de remèdes à utiliser selon les cas. Mais là aussi, plus le temps passait, moins ça fonctionnait. Alors on en cherchait de nouveaux.
Il nous semblait trop risqué, vu son âge, de la mettre sous anesthésie pour faire des examens. Alors nous avancions à tâtons, à l’aveugle.
Je suis bien consciente que ces quelques exemples n’ont rien de réjouissant. Mais ça a été une partie de notre réalité quotidienne. Je sais aussi que chacun vieillit différemment. Funny a tiré sa révérence le 16 juin dernier, à 17.5 ans, dans des circonstances totalement différentes.
J’ai donné à Emmy tout ce que je pouvais.
Du fond du cœur.
Jusqu’au bout.
Jusqu’à la décision de la laisser partir…
Si ce bout de chemin a été difficile, il a aussi été imprégné d’amour, d’un bout à l’autre.
Je sais que ma difficulté à gérer son inconfort a été proportionnelle à l’amour que nous partageons toujours.
Ce parcours m’a montré, à mon corps défendant, que la souffrance fait partie de la vie. A un moment où à un autre, même si c’est différent pour chacun. Qu’accompagner ceux qu’on aime, c’est beau et douloureux à la fois. Mais que ce qui reste, c’est l’amour.
Tout cela m’a montré aussi que j’ai trouvé la force, chaque jour, de faire ce que je pouvais, de continuer à chercher comment l’aider. Au-delà des moments de découragement et de ras-le-bol. Ce qui donne ce courage, c’est aussi l’amour.
Tout cela a mis à jour une vulnérabilité que je m’évertue le plus souvent à cacher. Dans ces situations-là, on a autre chose à faire que de sauver la face. On regarde les choses en face. Les priorités se réorganisent. L’énergie vient, même si on ne sait pas trop d’où et qu’on est épuisé.
Cette partie de mon chemin avec Emmy m’a peut-être changée davantage que tout ce qui a précédé… dans ces moments forts, tout est bousculé et prend une nouvelle forme.
Notre famille aussi, d’ailleurs. Chacun cherche ses nouvelles marques, sans la présence physique de la matriarche canine… c’est un processus qui comme le reste, demandera observation, écoute, flexibilité et adaptabilité.