Mangera, mangera pas? Les émotions et la gamelle

Il y a environ une dizaine d’années maintenant que nous avons choisi de ne plus nourrir nos chiens aux croquettes, et que nous avons opté pour l’option « cru », en accord leur nature… cette évolution a eu lieu en plusieurs étapes et elle est toujours en cours aujourd’hui. 

L’expérience que je partage ici, c’est juste la nôtre.  Pas du tout un jugement sur les choix que d’autres font. 

 

Quand notre famille s’est formée il y a 13 ans, nos chiens de l’époque étaient âgés de 6 mois à 6 ans.  Autant dire que l’idée de leurs vieux jours ne nous effleurait même pas.  Et leurs « repas-croquettes » n’étaient rien d’autre que du « nourrissage » facile et rapide.  Ils mangeaient sans broncher et sans se poser de questions… et nous ne nous en posions pas non plus (concernant leur alimentation). 

 

C’est lorsque nous avons démarré notre parcours vers une nourriture crue, que nous avons constaté qu’ils avaient plus de plaisir à manger… ce qui bien sûr, nous a fait très plaisir aussi ! Nous nous éloignions du simple fait de les alimenter.  Une autre dimension pointait le bout du nez : celle des émotions liées à la gamelle, pour nous lors de la préparation et pour eux, dans l'anticipation de leur repas puis en mangeant.

Quand on quitte le monde des croquettes, on entre dans un espace différent, où chacun fait un peu ses propres recherches, et où il n’est pas toujours facile de s’y retrouver.  En tout cas, au début... comme dans toute nouvelle aventure, finalement 😉.

Nous sommes passés par différents stades.  Ce sujet nous a intéressés de plus en plus, et interpellés régulièrement… surtout en constatant les changements chez nos chiens : plaisir de manger, comportement, qualité de poil, santé solide, longévité, etc.  Plus nous en apprenions, plus nous avions envie de creuser.  Alors nous avons commencé à explorer les différentes pistes et informations disponibles partout.  Bien sûr, souvent, comment dans tous les domaines, elles se contredisent… mais c’est là que nous apprenons à nous faire notre propre opinion, qui évolue en même temps que nous.

 

La notion du « plaisir de manger » de nos chiens, elle, est restée présente, avec aussi des nuances, et des préférences qui se manifestent parfois pour l’un ou pour l’autre, surtout quand ils prennent de l’âge.  Du coup, la préparation des gamelles a commencé à jouer un rôle aussi dans nos relations avec nos chiens, puisque nous sommes de plus en plus attentifs, à l’écoute, de ce qui convient et plaît à qui, selon sa propre évolution... c’est tout un dialogue qui se déroule aujourd’hui autour de leur alimentation.  Rien à voir avec « remplir un doseur de croquettes et le verser dans la gamelle » 😉.

 

Le temps passe… il file, même.  Et nos chiens vieillissent.  Alors qu’ils poursuivent leur propre évolution, nous les accompagnons au mieux, notamment concernant leur alimentation qui bien sûr, doit être adaptée.  Les questionnements, les recherches, les découvertes continuent donc également… et les émotions se font de plus en plus intenses autour des repas.

 

Il y a quelques semaines, Shaddaï (13 ans) a fait un AVC, dont elle est quasi totalement remise : elle est heureuse de faire sa petite promenade quotidienne, recherche le contact et la présence, interagit avec les autres… je pense qu’elle se sent bien, son regard me le dit. 

Mais certaines choses ont changé, comme sa façon de manger.  Depuis l’AVC, il n’est absolument plus question de lui préparer une gamelle, même avec tout l’amour du monde, et de la lui présenter pour qu’elle la vide (ce qui avait toujours été le cas).  Sans doute certaines zones de son cerveau ont-elles été abîmées… 

 

Les quantités qu’elle mange varient d’un repas à l’autre, ainsi que les aliments qu’elle accepte … or le fait qu’elle s’alimente est évidemment vital.  Je sais qu’à 13 ans, elle est plutôt en phase de « fin de vie », et je reconnais que l’idée d’une vie sans elle m’est difficile.  Alors je savoure les moments qu’on partage : nos petites promenades calmes juste à deux, le fait qu’elle vienne se blottir contre moi la nuit, ses ronflements doux qui me font fondre… bref, tous les détails du quotidien qui, un jour, ne seront plus.

 

Ses repas sont devenus des moments particuliers, pendant lesquels j’apprends à gérer mes propres émotions.  Comme je ne sais jamais ce que Shaddaï acceptera de manger, je lui présente un aliment à la fois et elle m’indique si c’est oui ou non, en manifestant de l’intérêt ou en détournant la tête.  Quand elle a faim, les propositions se succèdent et elle mange bien (la majorité du temps).  Alors je respire.  Par contre, parfois, elle refuse une proposition après l’autre, ou semble dire « oui » puis change d’avis quand c’est dans sa gamelle… et là, souvent, je sens une boule se former dans mon estomac, avec les idées qui se bousculent dans mon petit cerveau : « et si elle ne mange plus », « et si c’est la fin de son chemin », etc.  Mon cœur se serre…

Parfois, je ressens aussi de l’énervement, voire de la colère, face à tout ce processus sur lequel je n’ai aucun contrôle.  Suivre le mouvement qui se propose est ma seule option, surtout si je souhaite honorer notre lien... mais parfois, je craque.  Tout cela me demande une véritable discipline intérieure, pour ne pas basculer dans le stress si les choses ne se passent pas comme je le souhaite.  Je sais, rien qu’en voyant comment Sha approche sa gamelle, si les choses risquent d’être compliquées ou pas.  C’est le moment de respirer un grand coup et de sourire à Sha, pour rester sereine et me détacher du résultat.

Je réalise qu’il ne faut pas grand-chose pour réactiver tous les scénarios-catastrophes qui m’ont envahi l’esprit en une fraction de seconde quand elle a fait l’AVC et qu’elle n’a pas mangé pendant 2 jours.

 

Alors aujourd’hui, les repas de Sha sont des moments à la fois de concentration, et de détente, où je me focalise sur le fait de rester calme intérieurement, qu’elle mange bien ou pas.  Je respire pour rester détendue, je fais les choses lentement et je fais de mon mieux pour accepter ce qui vient, souvent avec un fond musical relaxant : si Sha mange bien, super ; sinon, c’est bien aussi. 

 

Je sais qu’elle perçoit toutes mes émotions, mes regards inquiets, l’instant où mon cœur se serre, où mon estomac se noue, où ma respiration s’accélère.  Sans doute même avant moi… Dans cette phase de notre relation, elle m’apprend à rester le plus centrée possible, tout en répondant à ses besoins, sans me laisser engloutir par des émotions fortes.  Rester présente à ce qui vient, maintenant.  Rester présente quand le moment sera venu.  Et pour cela, accepter mes émotions sans me laisser engloutir par elles…  c’est un travail en cours, qui progresse bien.  Au fil des semaines, je me sens de plus en plus sereine.  De plus en plus capable d’accepter ses choix. 

 

Peut-être me dira-t-on « qu’elle ne se laissera pas mourir de faim », mais ça m’est égal.  Aujourd’hui, mon souhait est d’honorer un magnifique lien qui se consolide jour après jour, depuis 13 ans.  Même si cela implique de revoir toute mon organisation pour faire des ses repas, des moments simples et sans stress. 

J’ai choisi de lui faire confiance, de croire qu’elle sait ce qui est bon pour elle et de quoi elle a besoin.  Je veux qu’elle sente que je l’écoute.  Tout en sachant qu’un jour, elle s’en ira.  Mais que jusqu’au bout (et au-delà, sûrement), nous restons unies par un lien d’amour, de confiance et de respect.

 

 

Parce qu’il faut bien le reconnaître, nos chiens nous font vivre des émotions très fortes… pas toujours là où on s’y attend 😉.

Tout autant d'occasions de grandir avec, et grâce à eux...

 

Cécile